Pas une minute à perdre…

Pas une minute à perdre

#Témoignage , #Engagement , #Arche en France

Marie Motte est une “fille de L’Arche”, comme on le dit souvent chez nous. Fille de Marie-Hélène et Bertrand, un couple engagé à L’Arche dès les années 1970, Marie a fondé elle-même sa propre famille et a ensuite "rechoisi L’Arche" avec son mari. Sa vie et sa personnalité sont “hors normes”. Marie est décédée en juillet dernier après une greffe du cœur. Nous avons demandé à son mari, Yann, de tenter de nous livrer une part de la lumière qui la traversait et nous touchait si finement. Merci Yann !

Marie et Clémentine, un membre de son foyer au Caillou Blanc. 

« Lorsque je pose ces mots, ce n'est pas si facile. J'ai passé les premiers mois depuis le départ de Marie dans le “rendre-grâce” de sa vie - notion si chère à L’Arche où toute personne est une histoire sacrée - mais le quotidien reprend petit à petit et l’absence se fait sentir de plus en plus. Je cherche toujours mon nouvel équilibre dans une vie heureusement pleine d’énergie et de joie. C’est dans cet état d’esprit que je vais donc vous parler de Marie et de notre vie partagée. Marie, mon essence ciel…

Marie a voulu que l'on célèbre son départ comme un mariage : l'amour ne passera jamais. Nous nous sommes rencontrés en 1998, puis mariés en 2007. Marie a été pour moi révélatrice de la possibilité de durer dans l'amour. Elle m'a accueilli chaque jour comme j'étais. Elle avait ce don de l’accueil et de l’écoute, qui nous manque déjà au quotidien. Marie a toujours été une personne sans limite, elle avait besoin de ses frères et sœur, de la communauté, de la vie de famille, de notre couple, pour être ramenée à la réalité. Elle a toujours été dans cette urgence, urgence de vie, urgence de transmettre, d'accompagner, urgence de célébrer, urgence d'aimer. Le temps est précieux, la célébration d'autant plus. Il y avait chez elle un cri, ce cri vers l'impossible lui a entraîné son entourage dans une quête de sens et de choix, tournée vers ce don de l'amour.

Durant l’année 2021, sa santé s'est dégradée. Très fatiguée, Marie a été obligée de ralentir. Un combat intérieur immense quand il y a urgence. Ce fut un chemin d’acceptation de la fragilité au coeur de notre maison abritant notre famille et ouverte à notre communauté. Ce combat s’est poursuivi avec le choix de la greffe, un oui de vie et d’amour, mais un choix qui nous a obligés à regarder la mort en face. C'est à ce moment-là que la vie est la plus intense, le temps est compté, il faut célébrer, protéger ce que l'on aime, préparer son départ. Un soir, trois semaines avant la greffe, j'ai demandé à Marie de préparer sa messe. Une grâce lui a été donnée, elle s'est réveillée le matin en joie, en joie de préparer cet instant de communion avec tous les gens qu'elle aime. Elle a imaginé deux jours de célébration avec l’enterrement lui-même, mais aussi un temps créatif (Marie aimait beaucoup dessiner) et un temps de marche sur la plage. Grâce à cela, elle a pu parler dans le coeur de chacun, redire son essentiel : il est urgent de célébrer, il est urgent de s’engager, il est urgent d'aimer.

Marie était une personne de foi. Elle continuait à creuser le sens de la fragilité si présente à L'Arche et en elle, tout particulièrement à ce moment-là. Jésus lui donnait sa paix, une paix pour passer de sa fougue vers l’impossible à l’acceptation de sa fragilité. Une paix pas simple à trouver quand l’angoisse de la mort sonne à ta porte, chaque nuit. La mort est finalement arrivée, un mois et demi après la greffe, suite au développement d’une nouvelle fragilité dans le corps de Marie. Durant ce mois et demi, j'ai toujours voulu rester rayonnant, souriant. Je n'ai pas toujours été compris, mais pour moi tant qu'il y a de la vie, je ne peux que me réjouir. De plus, il y a la promesse que l'on s'est faite à notre mariage, pour le meilleur et pour le pire jusqu'à la fin de nos vies. L’Amour ne passera jamais.

Marie ne me laisse pas seul pour vivre cette réalité. Tout d'abord, nous avons trois enfants magnifiques pleins de vie, pleins de ressources. Aujourd'hui, en les regardant, je vois toutes ces valeurs d’accueil, de confiance, que Marie a transmises dans le cœur de ses enfants.

De temps en temps, je la trouvais exigeante avec eux : il n'y avait pas une minute à perdre pour parler de la foi, des engagements, des projets, des émotions... Maintenant, je comprends mieux : il y avait urgence, urgence de transmettre, urgence d’ouvrir nos portes et nos cœurs. Je pense aussi à Souleman, Aboubacar, jeunes migrants, pour qui Marie a été d'une fécondité hors du commun en si peu de temps.

Un autre cadeau que Marie me laisse, c’est la vie communautaire, la vie partagée. Marie m'a amené à L'Arche, ce projet un peu fou où je peux approfondir mes dons, mais aussi mes manques. C'est un lieu où je reçois le soutien du quotidien, un lieu d'ancrage. J’y ai découvert un trésor, des amitiés qui n’ont pas besoin de paillettes, des amitiés inconditionnelles où je peux être fragile à mon tour. Marie était très habitée par cette vie communautaire qui accueille les uns et les autres et qui transforme avec douceur et patience.

J'ai commencé cette lettre en écrivant “Marie mon essence ciel”. Durant le mois et demi qui a précédé sa mort, elle a préparé mon cœur, mais aussi mon esprit. La majeure partie du temps, elle était endormie, apaisée, mais dans son silence, je sentais sa présence. J’ai alors pu (et je continue) à poser des mots, des positionnements qui me dépassent, dans lesquels je suis persuadé que Marie intercède encore, dans lesquels je ressens sa quête vers l’impossible.

Finalement, le mot qui me vient est “continuité”. Il y a un avant, un pendant et un après pour chacun de nous. L'Amour ne passera jamais. Mais c'est sûr que notre présence sur terre, elle, passera. C'est pour cela que ce message d'urgence, urgence d'aimer, urgence de transmettre, urgence de célébrer, urgence de partager en amitié, en famille, en couple, est essentiel pour que l'amour demeure, vivant. Il n'y a pas une minute à perdre ».

Paix, force et joie,

Yann

Œuvre de Marie.